Et soudain, tout était devenu silencieux. Sauf le son de ton cœur qui battait fort dans ta poitrine. Je te voyais regarder partout autour de nous, comme si c’était la dernière fois que tu allais pouvoir voir la lumière du jour. Je ressentais que tu angoissais, que tu ne savais plus comment tu devais réagir. Les quelques rares personnes qui avaient encore le courage de se déplacer dans la ville fuyaient tout le monde qu’ils croisaient. Au moindre geste, tout le monde se refermait sur lui-même. Plus personne n’osait de croiser le regard de l’autre… On ne sait jamais, peut-être était-ce comme ça que ça se transmettait…
Tous les jours, toi et moi on était témoin de ce silence, mais un silence plus que silencieux. Le monde avait pris une pause obligatoire… Tout semblait en suspens, figé dans un espace-temps hors du monde dans lequel nous vivions habituellement. La ville avait le souffle long, pour une fois.
Et il y avait ton cœur qui battait, sans cesse, sans pause.
« Poum, poum. Poum, poum. Poum, poum… »
Tu regardais partout autour de nous dans les tunnels des métros, comme si quelque chose était pour nous happer. Mais il n’y avait rien. Je tentais de te rassurer par tous les moyens. Que ce soit à l’aide de mots rassurants chuchotés à ton oreille, ou que ce soit en te flattant avec lenteur le bras pour te ramener dans l’instant présent. Rien n’y faisait. Tu revenais à toi l’espace de quelques instants, pour très vite repartir dans ton ailleurs, ton ailleurs rempli d’angoisse. Tout ce que les médias véhiculaient comme information nous rendait tous inquiets. Moi-même je ne savais plus où donner de la tête. Je ne savais plus qui il fallait croire. Mais il fallait rester solide comme de la pierre, même si j’avais parfois l’impression qu’on était devenu des marionnettes à qui l’on pouvait faire faire n’importe quoi…
Et pendant ce temps, ton cœur continuait de battre, sans cesse, sans pause.
« Poum, poum. Poum, poum. Poum, poum… »
Chacun avait peur des autres. Ils avaient pris le contrôle de tout, mais avaient quand même eu la décence de nous donner des accès illimités à tout ce qui était du divertissement : films, expositions muséales virtuelles, drogues, écoute gratuite de n’importe quelle musique (pour ne nommer que ceux-là).
Et pendant ce temps-là, on entendait ton cœur battre, sans cesse, sans pause.
« Poum, poum. Poum, poum. Poum, poum... »
Toi et moi, on se levait tous les jours et on se dirigeait tous les jours à l’hôpital, notre lieu de travail. C’était la même routine qui se répétait. On arrivait sur place, on enlevait nos vêtements et on prenait une douche à l’antiseptique. Nos vêtements portés entre la maison et le travail étaient jetés dans un incinérateur afin de brûler toutes particules susceptibles de contaminer les patients sur les lieux.
On passait nos journées dans le bruit infernal des équipes médicales qui se relayaient et qui courraient partout pour soigner les patients avec le trop peu d’équipement médical qu’on avait à notre disposition… Certains patients nous hurlaient dessus pour qu’on les soigne. D’autres étaient tout simplement sans voix face à tout le travail qu’on devait accomplir. Une fois la journée terminée, on enlevait nos vêtements, on prenait une douche à l’antiseptique et on se rhabillait avec de nouveaux vêtements qui n’avaient jamais été en contact avec l’air ou en contact avec un humain. On mettait le pieds dehors, dans ce silence plus que silencieux.
Puis j’entendais à nouveau ton cœur qui battait, sans cesse, sans pause.
« Poum, poum. Poum, poum. Poum, poum... »
On vivait le même refrain infernal depuis plusieurs semaines déjà. Toujours le même contraste entre le silence désertique des rues et l’hôpital aussi agité qu’en temps de guerre. Puis, un matin, toi et moi on a mis le pied dehors et on a recommencé à entendre le vrombissement de la ville. Tu sais, ce bourdonnement qu’on avait presque oublié après toutes ces semaines en suspens…
J’entendais encore et toujours ton cœur qui battait, sans cesse, sans pause.
« Poum, poum. Poum, poum. Poum, poum… »
Le même manège a recommencé : déshabillage, incinérateur, douche, nouveaux vêtements. La journée s’était passé une fois de plus dans le brouhaha. Et ce jour-là, il y avait aussi le son de ton cœur qui était fortement perceptible.
« Poum, poum, poum, poum, poum… »
Le quart de travail terminé, on s’est déshabillés, on a pris la douche à l’antiseptique, on nous a remis de nouveaux vêtements et on a mis le pied en-dehors de cet endroit microbien. Le souffle de la ville était à nouveau court. Tu m’as regardé d’un regard qui m’avait manqué. Tu m’as regardé avec des yeux apaisés. Sans dire un mot, tu as regardé partout autour de toi comme si c’était la première fois que tu voyais le monde. Tu m’as regardé et tu as pointé le doigt vers ta poitrine. Ton cœur ne faisait plus aucun son. Il était à nouveau enterré par le bruit de l’humain en mouvement.
C’était grâce à l'absence de ce son que j’avais compris que la vie avait repris son rythme normal, que la crise virale était enfin terminée.
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